Pourquoi notre meilleur blogueur ne sera jamais un journaliste

On aimerait nous faire croire que le Web est un média social, cela est historiquement faux, mais vrai aujourd'hui dans une certaine utilisation du Web, et restera seulement vrai partiellement si le monde des affaires ne trouve le moyen de prendre le contrôle du contenu. 
Jeff Jarvis dans son livre "What Will Google Do ?" invite les entreprises du futur à abandonner toute idée de contrôle, mais il nous ressert, sous une forme plus appétissante pour le monde des affaires, l'intuition première de la Free Software Foundation qui est celle de la marginalisation progressive de la propriété intellectuelle (vecteur essentiel du contrôle des marchés par les entreprises industrielles), ce pari était lancé depuis le milieu des années 80. Vingt années donc, pour qu'un observateur pur des médias comprenne les enjeux de libertés en économie connectée et arrive à les reconceptualiser dans un livre, pas mal...
Mais la formule de Jeff Jarvis restera loin de convaincre les entreprises sur une stratégie extrêmement risquée, notamment avec un tel écroulement de la rentabilité dans maints secteurs, de l'effet de paupérisation provoqué sur le niveau de vie de chacun, avant que l'économie globale reprenne peut être un jour ses sens, comme le diagnostique Jacques Attali .
Un critique acerbe dans un site d'information canadien, souhaite d'ailleurs que Jeff Jarvis puisse goûter un jour au même sort annoncé à ses collègues, afin qu'il soit en mesure de comprendre l'amertume légitime que provoque son enthousiasme rédactionnel chez tous ceux qui sentent qu'ils ne seront pas du bon côté de la barrière.
Où réside donc cette force d'attraction, cette dynamique extraordinaire de la partie réellement sociale du Web, qui semble déstabiliser au niveau de l'information les offres classiques ?
Deux familles, deux cultures distinctes, celle de l'Internet RO (Read Only) et celle de l'Internet RW (Read Write) ; la première qui se base sur les échanges commerciaux, la vente de produits finis ou fabriqués en dehors de l'Internet et qui s'exprime par la recherche d'un contrôle sur les contenus pour son propre profit. La deuxième qui se base sur le partage, l'échange, et est engagée dans des activités libres qui n'ont pas de finalité commerciale.
Qu'est ce qui fait donc de Maître Eolas un membre de la famille RW ?
Non pas le fait qu'il utilise un blog ou un outil estampillé "Web Social" ou qu'il laisse les gens réagir sous la forme de commentaires en engageant un dialogue avec eux, mais dans sa démarche qui est dans un premier temps basée sur le partage de ses connaissances juridiques en direction d'un public non-averti, dans un second temps sa volonté radicale de ne pas monétiser son projet.
Pour faire court, notre meilleur blogueur se veut socialement utile et non-marchand.
Comme dans maints contes taoïstes, le secret de l'accomplissement est de n'avoir aucune intention (no hidden agenda), le "non-agir" commercial est une des clés de la rencontre sincère avec un auditoire.
C'est cette différence dans le ressenti du public qui fait du journaliste un concurrent déjà défait dans la course au mérite d'une popularité à la mesure de son travail. Le mérite n'étant plus seulement, dans ces conditions, l'expression d'une performance économique ou qualitative, mais aussi l'acceptation d'une injonction éthique particulière qui si elle était expérimentée puis observée, risquerait de désolidariser notre homme de plume de l'univers de sa salle de rédaction, qui reste quand même le coeur d'une entreprise à caractère commercial ; et cette particularité se paye chèrement sur le Réseau en terme de crédibilité.
Alors pourquoi ne pas imaginer une assemblée libre de journalistes qui pourrait reconquérir l'assentiment et la passion du public ? Inventer une solution hybride qui emprunterait le meilleur aux deux mondes, RW et RO ?
Première difficulté, maintenir l'équilibre délicat de cette solution hybride où le modèle commercial ne devra jamais empoisonner la crédibilité des journalistes par les essais de prise de contrôle direct ou indirect dont ils feront l'objet (par exemple, il faudra qu'ils établissent un refus définitif des privilèges et cadeaux habituels en provenance des entreprises comme du pouvoir.)
Deuxième difficulté, la mesure d'audience qui confère la possibilité aux agences de débloquer les revenus publicitaires par un système d'annonces un tant soit peu ciblé, cette mesure d'audience est inadéquate sur le Web actuel que l'on emprunte le système des panels ou celui des traces serveurs.
Les titres de presse auraient beau ne pas tricher, comme le suggère Narvic , que les agences ne pourraient défendre ses résultats inadéquats sur le long terme face à leurs annonceurs.
Et le problème risque de durer encore pour quelques années, les agences sont en butte à des problématiques technologiques et algorithmiques auxquelles elles ne sont pas habituées et qu'elles ne sont pas en mesure de résoudre ; elles ne sont pas prêtes non plus à accepter une solution provenant de Google puisqu'elles estiment que le géant de la recherche a pris une place déjà trop importante dans le secteur de la publicité en ligne.
Reste la dernière solution, attendre qu'une jeune et nouvelle start-up technologique telle que Quantcast s'impose comme standard de la mesure d'audience.

Commentaires