Apprendre à donner le contrôle, une nouvelle fois

Deuxième incursion de Francis Pisani dans la matière de  "What would google Do" de Jeff Jarvis. Avant d'aborder les faiblesses du livre, dans de futurs billets, il nous livre encore quelques règles intéressantes tirées de l'ouvrage. Je vais essayer d'en pointer les origines comme dans ma précédente note "Apprendre à donner le contrôle" .
Dans un univers de liens, il vaut mieux faire bien ce que l'on sait faire et laisser faire aux autres ce qu'ils savent faire de mieux ; et comme pour le précédent billet, on ne peut que s'étonner de voir que les références sont en phase, sinon en filiation directe, avec les découvertes d'Eric Raymond dans son ouvrage "la Cathédrale et le Bazar" . Déjà il notait :
"Linux fut le premier projet qui fit un effort conscient et abouti pour utiliser le monde entier comme réservoir de talent. Je ne pense pas que cela soit une coïncidence que la période de gestation de Linux ait coïncidé avec la naissance du World Wide Web, ni que Linux ait quitté le stade de la petite enfance en 1993-1994, au moment où l'intérêt général accordé à Internet et que l'industrie des fournisseurs d'accès explosèrent. Linus [Torvalds, concepteur de Linux] fut le premier à comprendre comment jouer selon les nouvelles règles qu'un Internet omniprésent rendait possibles."
Les liens permettent des interactions multiples, de sociales à celles, furtives, d'appoint et traduisent la qualification suivante du Web de Jeff Jarvis : "il favorise la collaboration sur la possession."
Ce qui rappelle la dernière règle d'Eric Raymond : "pour peu que le coordinateur du développement dispose d'un moyen de communication au moins aussi bon que l'Internet, et pour peu qu'il sache comment mener ses troupes sans coercition, il est inévitable qu'il y ait plus de choses dans plusieurs têtes que dans une seule."
Il suffit donc d'appliquer par simple analogie cette façon d'approcher la coordination de projets en ligne au journalisme et nous aboutissons à la vision de Jeff Jarvis bien résumée par Francis Pisani : "ils [les journaux] doivent se transformer en plateforme à laquelle les lecteurs s’adressent quand bon leur semble avec l’espoir d’y trouver les meilleures pistes plutôt qu’un contenu original."
Comme pourrait le signifier Umair Haque, c'est un changement d'ADN qui est demandé aux professionnels de la communication dans leur ensemble, et parmi les nouvelles compétences, la capacité de penser distribué dans un univers que l'on peut amadouer uniquement que par l'acceptation de son effervescence.
Dernière règle relevée par Francis Pisani : Les entreprises traditionnelles doivent elles aussi appliquer la formule de la "bêta perpétuelle."
La bêta perpétuelle est une des logiques que Google a encore empruntée au monde de l'Open Source, une règle particulièrement célèbre conceptualisée encore une fois par Eric Raymond. Il s'agit de s'assurer le maximum de promiscuité avec l'utilisateur (ou le consommateur) en proposant indéfiniment une suite de version rapprochée d'une application toujours en bêta : "Distribuez tôt. Mettez à jour souvent. Et soyez à l'écoute de vos clients."
Francis Pisani note élégamment la force de cette règle : Il faut "se tromper tôt et vite"  pour pouvoir corriger les erreurs à temps. "Ce n’est pas l’erreur qui compte, mais ce qu’on fait pour la corriger". Il y a même mieux : se tromper et reconnaître son erreur peut contribuer au renforcement de la crédibilité.
Intéressant, car cette interprétation, qui est celle de tous les bidouilleurs, se retrouve dans la pensée de Nassim Nicholas Taleb , auteur d'un inclassable ouvrage nommé "The Black Swan."
Taleb voit dans cette règle, la mise en oeuvre d'une stratégie de protection pour la survie ou de persistence dans une époque livrée aux extrêmes statistiques. Il est assez intéressant de voir donc un autre intérêt que de toujours avoir un modèle d'affaire unique et d'accepter de perdre de l'argent en innovant et laissant le public juge. Le monde économique d'aujourd'hui n'a peut-être que faire de savoir si vous êtes le numéro 1 dans toutes vos aventures (défi qu'on imposait pourtant à Microsoft à chacun de ses tournants), pour l'instant être le leader en matière de recherche et donc de publicité porte l'expérience Google, mais pour combien de temps ? D'où cette humilité, cette façon de tâtonner en lançant de multiples projets simultanés pour  pouvoir disposer à en moment d'autres ressources complémentaires ou principales.

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