La récolte des données ou l'Age de la persistance

Beaucoup d'interrogations devraient naitre de la récolte des données sur les utilisateurs d'Internet et dans la vie réelle les citoyens qui ont à faire face à de multiples objets technologiques incontournables au quotidien.
Grâce à une synthèse efficace, Bruce Schneier nous invite à rentrer dans ce qu'il nomme "l'Age de la persistance"  [des données] et l'éclatement de la sphère privée qu'il peut engendrer.
Il nous accueille ironiquement dans un futur où tout ce qui nous concernera sera sauvegardé et maintenu comme données des années durant. "Un futur, où vos actions sont enregistrées, vos déplacements suivis et vos conversations n'ont plus leur caractère éphémère. Un futur qui vous est servi non par une dystopie à l'image de 1984, mais par la tendance naturelle des ordinateurs à produire des données."
Les données seraient identifiables à la pollution de l'Age de l'information, un sous-produit naturel de chaque interaction intermédiarisée par un ordinateur. Elles ont une fâcheuse tendance à ne jamais disparaître, à moins qu'il soit prévu de s'en débarrasser régulièrement ; ce qui pose la question de leur réemploi qui peut être bénéfique, mais tout aussi toxique dans leurs effets secondaires, si l'on n'y prend garde.
Il y aurait donc une inconséquence répétée chez l'être humain : dans la construction rapide de l'Age industriel nous avons ignoré la production massive de déchets, aujourd'hui nous ignorons la production massive de données dans notre construction tout aussi rapide de l'Age de l'information.
Le souci  est que, dans le parcours d'une journée ordinaire, il y a de moins en moins d'actions qui ne laissent pas de trace informatique : diverses cartes de paiement, courriels, coups de téléphones, caméras de surveillance, etc. Et particulièrement, les données commerciales sont les premières à être récupérées dans le but d'authentifier nos comportements d'achat.
Les ordinateurs intermédiarisent toutes sortes de conversations, directes ou indirectes :  comment ne pas noter le rush vers les espaces sociaux, Facebook, Twitter, agrégateurs, autant de données collectées mécaniquement et qui pourront faire l'objet d'usage secondaire, ou qui pourront nous être resservies au plus mauvais moment de notre histoire personnelle, alors que l'on croyait par tradition que toute conversation avait un caractère éphèmère...
Bruce Schneier note qu'aux Etats-unis, cette récolte est majoritairement le fait des industries, et qu'en Europe ce sont les Etats qui seraient les plus avides de ces données. Et que la pente naturelle sera pour les organisations la conservation de ses innombrables données car le coup de leur traitement ainsi que de l'espace de stockage qu'elles nécessitent ne cesse de diminuer. Il pense aussi que dans ces deux univers séparés par l'Atlantique, l'application de la loi nourrira cette avidité d'information des organisations, que ce soit à des fins d'enquête ou pour du data-mining.
On s'enfonce alors radicalement dans une vision Orwellienne de la société, ou, pour faire dérisoire, l'histoire d'une année de vie d'un être humain peut être contenue dans 4 à 8 Gigas de données.
Une brêve remarque, on assassine généralement Google pour des mauvaises raisons, qui ne sont pas de son fait, extinction des business de la presse, de la culture, mainmise sur l'information mondiale. qui sont des conclusions outrancières, car Google n'est globalement pas responsable de l'incompétence des médias classiques à se réinventer.
Cependant, personne ne parle du seul modèle de Google qui est discutable, celui de Gmail, basé sur le fait de pousser l'utilisateur à ne plus faire le tri dans ses propres données, mais à les laisser s'accumuler sans se rendre compte qu'elles ne sont pas réellement vouées à l'oubli.
Modèle repris par Facebook et Twitter, ces immenses dépotoirs sociaux ou aucun mécanisme de collecte des ordures ne semble être prévu. Ce qui serait normal, étant donné l'intervalle de réactivité dans lequel se situe Twitter ou Facebook, on pourrait très bien considérer qu'au-delà de deux ou trois journées, l'information accumulée n'est plus exploitable dans le cadre de son utilité première.
Dans la même logique, il n'est pas invraisemblable qu'enregistrer et stocker toutes nos conversations téléphonique pour consultation ultérieure, sera la prochaine étape. Bruce Schneier avance alors l'argument philosophique suivant : la société des humains n'est possible justement que si le droit est laissé à l'oubli, que les gens ne doivent pas être tenu de se justifier pour chaque mot qu'ils ont prononcé. Le fait d'être continuellement scruté sape au final nos normes sociales, et que la vie privée n'est pas une chose que l'on cherche à cacher, mais que "c'est un droit fondamental qui a une énorme valeur pour le maintien de la démocratie, de la liberté et de notre humanité."
A l'évidence nous ne pouvons nous opposer au progrès technologique, mais cette synthèse de Bruce Schneier contribue à mettre en situation, de manière dépassionnée, nos responsabilités et, par un rapprochement justifié, à orienter, je pense, sur un mode éthique et écologique les débats sur l'élaboration de lois comme Lopsi 2.

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