Le buzz des données et de la transparence

Favoriser l'accès aux données administratives ou gouvernementales, démarche que le récent président des Etats Unis vient d'initier, n'est pas une nouveauté de l'esprit.

Que ces données soient publiées au plus près de leur format brut, c'est à dire dans leur plus simple appareil, non plus.

De même, l'appel de Tim Berners-Lee pour l'enrichissement en méta-données des documents publiés sur le Web, pour une meilleure compréhension par les machines ou logiciels, n'est pas une nouvelle donne, c'est la répétition et une insistance sur une évolution qui était déjà désirée dans la profession par certains connaisseurs du Webt avant les années 2000.

Il y eut des projets tels que Dublin Core, l'Open Archives Initiative, car les balises de méta-données étaient bien  existantes mais peu renseignées. Le travail continue en d'innombrables colloques et arguties intellectuels avec bien peu de réalisations pratiques marquantes pour le grand public.

Il y eut un succès pratique malgré tout, mais qui n'a pas emprunté ces voies intellectuelles, le mappage du web avec pour objectif une amélioration de la recherche, qui fut l'innovation majeure du moteur Google. Aujourd'hui, si le W3C pose une grammaire des données pour que cela soit possible, cela ne fait que rendre compte que de l'imagination et de la volonté des équipes Google, qui sont arrivées à une forme d'excellence au niveau de la création de valeur avec uniquement ce que le Web mettait à leur disposition.

Est-ce que parce que nous allons multiplier ces données, que nous allons obtenir une information plus pertinente ? on peut raisonnablement en douter, tant et si bien que l'être humain se fourvoie régulièrement dans des comportements guidés par le "plus de la même chose." 

Deuxièmement, il ne suffit pas de publier les données pour que l'on puisse assister à l'émergence d'une transparence, d'autres initiatives de transparence ont échoué, le journalisme boursier étant un des principaux exemples, comme les communications de bilan et de résultat d'entreprise qui n'ont qu'un objectif de cotation ou de communication stratégique. 
Le prisme des comptes et de l'argent ne rend pas plus compte de la réalité que la cartomancie sans information de l'intérieur, il est bien difficile de dénouer le vrai du faux. Il n'y a somme toute qu'à un niveau local proche du terrain que les gens peuvent être interrogés, adressés, et que par observation et comparaison, ils puissent constater des écarts, mais qui se soucient d'eux dans l'initiative médiatique de l'Open Government ?

Le Web 2.0 (terme marketing comme le précise Eric Schmitt) arrive en fin de course. Sa cote de sujet de conférence audacieux est depuis deux années sérieusement en baisse, ainsi que pour produire et vendre des livres. Ce qui est dommage, car de même que le simple Web n'avait pas été maîtrisé par les administrations et la société civile, cette mouture d'applications collaboratives appelées Web 2.0 (je n'irais pas jusqu'au terme social, qui me semble trop marqué par l'ère industrielle) frontales, à base de technologies "gratuites" LAMP (Linux Apache Mysql PHP), n'ont pas encore été exploitées comme on aurait pu le souhaiter dans les divers environnements.

Le W3C espère reprendre la main sur la terminologie historique du Web avant que Tim O'Reilly inventeur du Web 2.0 ne fasse prendre la sauce du Web 3.0 chez les professionels. Disons le net, c'est une question d'orgueil pour les uns, d'argent pour d'autres. Comme le terme Web sémantique n'avait pas réussi à s'imposer, ceci pour la difficulté de compréhension qu'il génère et que l'arrivée de véritables applications sémantiques ne feront pas partie de la prochaine génération du Web, Tim Berners-Lee est redescendu à une vision plus pragmatique du Web comme base documentaire distribuée que l'on commence à nommer Web des données.
L'idée est semble-t-il meilleure, on va pouvoir la décliner comme je l'ai fait en titre, et se donner l'apparence de causer intelligent : gouvernement des données, journalisme des données, démocratie des données et pourquoi pas psychologie des données, religion des données, télévision des données, électricité des données, pain des données, vin des données, saucisson des données, ad lib.
Revenons à l'essentiel du buzz actuel : un gouvernement transparent par les données, ce n'est pas renforcer la centralisation de celles-ci pour pouvoir barbouiller les panneaux d'information Web de tableaux Excel, de powerpoint automatiques ou de camemberts 3D. Nos structures institutionnelles souffrent déjà de cette surenchère d'information inutile nées d'un croisement orienté des données, ce qu'un ami travaillant à France Telecom m'a dit qu'on appelait de manière dérisoire le "slideware", qui est souvent biaisé, car volontairement produit pour renforcer une décision ou une impulsion politique. On montre bien souvent ce qu'on a envie de démontrer.
De plus vous noterez que la démarche centralisatrice de la gigantesque base de données de data.gov, ne respecte pas l'élégance et les principes des architectures distribuées. C'est tout simplement qu'un fort nombre de ses données ne sont pas accessibles en réseau du aux plate-formes sur lesquelles elles sont hébergées. Et par ce simple constat, tout d'un coup, on jette un oeil dans l'abîme et on se rend compte qu'on est en train de prendre le problème à l'envers.

Mon effort d'imagination se limitera à l'observation suivante : donner les moyens aux administrations locales, où aux représentants locaux des administrations centrales de valoriser leur travail, leur recherche et leur génie particulier en remettant entre leur main la publication de leur données, comme s'il s'agissait de micro-gouvernements, une fois le système mis en place selon des standards ouverts ou par le biais d'API, il sera aisé pour tout un chacun de les exploiter . On couvrira ainsi deux objectifs, oeuvre de reconnaissance du potentiel local en service et gestion, et possibilité d'implication de la population dans la démocratie à son premier niveau.

Un point très important, un Etat comme le nôtre devrait encourager financièrement et en son sein les services appuyés sur leurs données propres et ne pas abandonner ses données brutes au secteur privé, car à ce moment, il y a en effet un risque que les initiatives privées fassent de l'argent sur cette matière brute qui devrait appartenir à tout le monde. Il ne faudrait pas se retrouver avec des niveaux d'information citoyenne qui passeraient par le porte-monnaie. De ce côté de l'Atlantique, nous avons une philosophie différente de l'aboutissement du jeu politique, du moins je l'espère.

Mais, de grâce, arrêtons, consultants, universitaires, journalistes et blogueurs parisiens, de rêver aux problèmes par des schémas mentaux top-down où le relationnel est réduit à une épice de la conversation, des préoccupations globalisantes, de tout ce qui flatte l'amour-propre et la position. 
Ne nous émerveillons pas des fausses solutions à la data.gov, et apprenons à mieux dialoguer entre nous dans la société, faisons en sorte de répandre les technologies existantes et créons de la valeur au plus proche des citoyens, avec ou sans terme marketing associé, web 2.0, 3.0, ou des données. Nous sommes conscients que la technologie existe déjà. Lorsqu'elle est efficace, convient aux usages demandés, et offre une ouverture pérenne, elle n'a pas besoin de nom conceptuel pour être comprise et adoptée.

Commentaires

  1. Je ne pense pas que centralisé ou pas centralisé soit un véritable sujet. Quand on regarde bien, le volume total des informations sur l'action des administrations sont en volume minuscule par rapport a quelques vidéos. Le plus rageant c'est que ces informations sont souvent déja numérisées et "publiables en temps réel" : les jugements en droit administratif, les journaux comptables des collectivités locales, les circulaires, les PV des assemblées d'élus, le détail des prix relevés par l'INSEE, etc... mais tout cela reste "caché".

    Sur un sujet similaire sur mon blog :

    http://guerby.org/blog/index.php/2009/06/27/202-datagov-vs-datagouv

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  2. Sur cet aspect "il y a un risque que les initiatives privées fassent de l'argent sur cette matière brute qui devrait appartenir à tout le monde"
    L'état avance dans sa réflexion, souvent lentement, mais il avance, voir notamment l'action de http://www.minefi.gouv.fr/directions_services/apie/index.htm l'APIE: Agence du patrimoine Immatériel de l'Etat

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  3. @ Laurent Guerby bonsoir,
    Merci de votre commentaire.

    La centralisation n'est pas un problème sauf qu'elle ne permet pas dans certains cas, la mise en valeur du travail des collecteurs de données, et dérobe l'appartenance symbolique ou psychologique de ses informations à la véritable structure qui les a émises.
    Certes, l'effacement du fonctionnaire face à l'autorité est encore bien inscrit dans ses gênes au travail et ces considérations ne dérangeraient que très peu le haut fonctionnaire d'administration centrale. Est-ce pour autant un bien ?

    Aux Etats-Unis, il y a quand même cette sensation que l'Etat central ou fédéral va continuer de croître et de prendre une importance grandissante dans la vie de chacun. C'est une des résistances populaires constatées récemment dans son projet de couverture médicale généralisée. Même si cela est envisagé pour le bien de tous, cette crainte est présente.

    Il y a aussi de nombreuses bases de données qui sont difficilement exportables automatiquement, du au manque de relation des matériels au Réseau. L'imposition venue d'en haut de pratiquer à des envois réguliers d'extractions, pendant que les crédits se feraient attendre pour faire changer d'époque ses matériels, peut très bien être ressentie comme une erreur de management grossière.
    Je pense qu'Obama devrait se méfier de donner l'image inverse de sa campagne (notamment lors de son opposition à Hilary Clinton), c'est à dire quelqu'un qui ne se laisserait pas happer par la mécanique de Washington.

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  4. @Benoît Desavoye
    Merci beaucoup pour ce lien sur cet organisme que je ne connaissais pas.

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  5. Pour les relations hierarchiques des fonctionnaires et "l'effacement" je partage votre avis :

    http://guerby.org/blog/index.php/2006/10/24/122-liberte-d-expression-et-fonctionnaires

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