Transparence, Gouvernement 2.0 : les dangers de l'ivresse idéologique

Dans un essai publié vendredi dernier, Lawrence Lessig, prend ses distances avec le mouvement pour la Transparence et le Gouvernement 2.0, tel qu'il semble prendre le chemin, aujourd'hui.
« Like the decision to go to war in Iraq, transparency has become an unquestionable bipartisan value. »
« Comme la décision de faire la guerre à l'Irak, la Transparence est devenue une valeur bipartite qui ne supporte pas la contestation. »
De la part d'un juriste, les termes employés ne sont jamais innocents, et signale de la part de l'administration, du corps politique, ainsi que des associations de soutien à ce mouvement telles que la Sunlight Foundation, un aveuglement dangereux.

La nature idéologique de ce mouvement est caractérisée aussi par l'absence de critique dans sa pensée opérationnelle, car si la Transparence est prise au sens de Transparence nue, c'est à dire d'une transparence qui n'est pas accompagnée d'une réflexion politique orientant les résultats, alors dans la recherche du bien souhaité par l'exposition des données institutionnelles au travers des technologies de l'information, des catastrophes collatérales seront inévitablement déclenchées.
Autrement dit, la Transparence risque d'être la corde avec laquelle le système démocratique risque de se pendre.

Attention, il ne s'agit pas de la part de Lawrence Lessig d'un discours radical ; la radicalité est d'abord dans le messianisme orchestré dans la société autour de cette transparence et dont les média produisent le reflet optimal ; mais pas seulement, il y a aussi la radicalité des outils technologiques employés, en l'occurrence le réseau.
Lessig constate qu'à chaque libération d'une activité humaine sur le réseau Internet, il n'y a jamais eu de retour en arrière possible à l'état précédent. Une partie du contrôle sur cette activité est alors définitivement abandonné. Ce fut vrai pour les industries de la presse et de la musique, qui, même par refus de s'engager ne firent que retarder leur transformation forcée, au risque de leur disparition.

Et c'est l'analogie principale exposée, il n'existe que deux chemins possibles maintenant : soit les acteurs actuels du changement (corps administratif, politique, associatif) accompagnent intelligemment le mouvement de Transparence, soit ils continuent comme aujourd'hui à faire confiance dans la Transparence nue et le système démocratique se retrouvera dans le meilleur des cas obligé de subir des transformations brutales imprévues, au risque même, s'il refuse de se plier à cette violence, de sombrer.

Si l'on ne prend pas en compte les limites comportementales humaines en jeu permanent avec le réseau, et que l'on décide d'ouvrir les données parlementaires et gouvernementales uniquement parce que l'on croit absolument que l'ouverture est bonne en elle-même, au lieu d'atteindre l'objectif d'une surveillance citoyenne appropriée et souhaitée, on établira  des machines à créer de l'incompréhension, puis des mécaniques de ressentiment incontrôlables au sein de la société.

La lumière du soleil (sunlight) est le meilleur des désinfectants, telle est la devise que la Sunlight Foundation a empruntée à Louis Brandeis, et qui fait référence à l'effort de transparence pour « laisser passer les rayons du soleil » qui détruiraient définitivement la corruption au sein des organisations (messianisme américain typique), Lawrence Lessig note qu'il suffit de s'être aventuré dans un marécage pour constater que la lumière du soleil peut avoir une autre effet que celui d'un désinfectant.

Commentaires

  1. Voir la réponse de la sunlight foundation http://blog.sunlightfoundation.com/2009/10/13/in-response/

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  2. Ce n'est pas une réponse, c'est une sorte de communiqué de presse embarrassé qui cherche à "déminer" l'essai de Lessig (11 pages), et n'y arrive pas car il faudrait quand même produire une réponse circonstanciée et lancer le débat, plutôt que d'affirmer que la Sunlight Foundation n'est pas concernée.

    De plus pourquoi vous restez "anonyme" ? Cette note à pour but de provoquer le débat autour du concept de transparence.

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  3. Une phrase m'a fait tiquer :

    "soit les acteurs actuels du changement (corps administratif, politique, associatif) accompagnent intelligemment le mouvement de Transparence, soit ils continuent COMME AUJOURD'HUI à faire confiance dans la Transparence nue"

    Je suppose qu'il parle des USA ? Parce qu'en France je ne crois pas qu'on pourrait en dire autant... comme en témoigne le projet nosdeputes.fr, une initiative extérieure...

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  4. Oui, Stanislas, l'essai de Lessig traite exclusivement de la situation aux Etats-Unis où le mouvement pour la Transparence est accepté dans les esprits et est soutenu par les deux partis.

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  5. Une réponse un peu plus constructive alors ;-)
    http://bit.ly/1eRAZN

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  6. Oui, Fabrice, il y a cette réponse de Carl Malamud - à la tête d'une autre association - son papier est assez bizarre, il s'amuse au départ au dépens de Lessig, pour convenir ensuite d'un certain bien-fondé de sa démarche, qui semble viser le trop grand zéle déployé par la Sunlight Foundation.

    Il cite en fin de note l'icône de cette fondation, Louis Brandeis.

    "The greatest dangers to liberty lurk in the insidious encroachment by men of zeal, well meaning but without understanding."
    "Les plus grands dangers pour la liberté rodent dans l'empiètement insidieux de la part d'hommes zélés, bien intentionnée mais sans compréhension."


    Une autre réaction dans un registre similaire à Carl Malamud, c'est à dire commençant par faire mine de critiquer Lessig pour finir sur une note d'accord concernant le risque d'un trop grand zèle dans l'application de la Transparence, est celle d'Ethan Zuckerman du Berkman Center (Yochai Benkler).

    Même si dans la grande tradition anglo-saxonne tous ces gens restent extrêmement polis dans leur communication, et n'osent pas s'affronter directement comme on aime en France, on sent qu'une tension est en train de transparaître au niveau de l'orientation prise par la Sunlight Foundation.
    C'est visible chez Lessig, Malamud et Zuckerman, ils n'osent pas le dire franchement mais ils insistent tous dans le même sens, leurs écrits convergent sur un certain recul par rapport à cet organisme.
    J'aimerais en savoir plus, j'aimerais qu'ils soient plus clairs, que craignent-ils ?

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  7. Je suis pas d'accord avec cette interpretation. Le mouvement de transparence est bien plus large que la lutte contre la corruption (c'est même minime, très peu de gens font qqchose dessus).

    Alors que la croisade de Lessig est bien contre la corruption. C'est vrai que de ce point de vue, la transparence tout seul n'apporte pas grand chose (btw l'anecdote sur Clinton se passe avant l'arrivée de la Sunlight Foundation), et qu'il faudrait des outils, etc. en plus.

    Mais la transparence c'est aussi celle du processus législatif, des débats et amendements, etc.

    Les personnes dans le milieu n'ont pas donné l'impression de se sentir attaqué en tout cas (voir les réactions sur les mailings lists).

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  8. @anonyme

    Le thème d'une montée en puissance du lobbyisme au Congrès américain qui s'identifierait à un mécanisme de corruption officielle n'est pas le seul à être adressé par la Transparence, mais il n'est pas minime.

    Le thème de la corruption est le thème central de la Sunlight Foundation, comparativement aux autres NPO qui soutiennent la Transparence.
    Le nom de la fondation "Sunlight" ou "lumière du soleil" est justement tiré de la phrase de Louis Brandeis (citée dans mon dernier paragraphe) qui s'adressait un jour à la corruption au sein des entreprises privées. Lessig d'ailleurs parle dans son essai de ce déplacement de l'utilisation de cette phrase concernant au départ le privé vers le public.

    "Mais la transparence c'est aussi celle du processus législatif, des débats et amendements, etc."

    Exact mais c'est un endroit sur lequel pointe l'argument du Lessig, qui en appelle à l'une des limites de l'être humain.
    Concernant l'explication d'un vote d'un membre du Congrès le premier rapprochement qui risque d'être fait (salient point) va être celui du rapprochement avec le montant de la contribution d'un organisme pour ce député ou sénateur.
    Pour qu'on puisse changer d'hypothèse d'interprétation ou envisager d'autres explications, il faudrait donc étendre sa capacité d'attention (attention span) pour que l'on prenne en compte d'autres éléments qui pourraient être tirés du débat parlementaire ou du contexte de la décision de vote.
    Mais d'après Lessig cela ne cale pas avec le temps disponible de l'internaute qui doit faire un choix rationnel dans le temps qui lui est donné pour s'informer, ni avec les technologies mises en place sur les réseaux (par exemple tweet de 140 caractères).

    Ethan Zuckerman, va un peu plus loin, il parle de la possibilité avec la documentation mise à disposition sur le Web, de pouvoir relier des données ou des faits entre eux pour constituer in fine un dossier à charge sur tel ou tel politique. Dans ce cas de montage, même si les conclusions d'un tel dossier sont fausses, le démonter face à une opinion publique qui n'a que très peu de temps à disposition pour se plonger dans les détails, est une tâche impossible.

    Les personnes dans le milieu n'ont pas donné l'impression de se sentir attaqué en tout cas (voir les réactions sur les mailings lists).

    Miller et Klein de la Sunlight Foundation ont été en effet très sobres dans leur réponse sur le site de la "New Republic", ils ont simplement cherché à démontrer que ces mises en garde ne les concernaient pas. Et pourtant leur réponse au sein du débat lancé par l'essai sur ce site montre, au contraire, qu'ils se sont senti vite concernés (sinon, pourquoi répondre à cet endroit ?)
    Mais faire comme il ne s'était rien passé de grave, c'est aussi une manière de répondre aux mises en garde de Lessig : une fin de non-recevoir.

    Une chose qui m'intéresse et que découvre ce débat, indépendamment de savoir si on n'est pour ou contre transparence, c'est le phénomène suivant qui est l'inégalité de compréhension qui est automatique dans le public.
    Les citoyens ne sont pas égaux sur la possibilité de tirer profit d'un mode participatif en réseau sur les affaires politiques, puisque, déjà, ils n'ont pas le même temps libre à disposition.
    L'équivalence que l'on pourrait mettre automatiquement entre participation et démocratie est très vite battue en brèche par ce constat : par exemple, il ne peut y avoir d'égalité de paroles en la matière, s'il n'y a pas de règles au préalable, pour contrebalancer l'effet que certains auront plus de temps à disposition que les autres et pourront se faire entendre plus.
    Mais c'est un autre sujet.

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