Pour en finir avec la netiquette

Beaucoup de gens sont timorés sur le Web.
Ce que Nietzsche rangeait sous le terme de paresse dans sa troisième Considération inactuelle.
Non pas la paresse proverbiale de celui qui ne veut pas travailler, mais une paresse dans le sens où l'on ne veut pas s'embêter à critiquer ni porter la contradiction vis à vis de ce qui serait généralement admis comme idées partagées entre êtres humains du même groupe.


Lors des premiers pas sociaux publics sur l'Internet, dans la communication collective, les règles étaient orientées de manière à protéger la personne de son propre verbe, ce qui pouvait lui faire du tort au moment et dans la suite de son expression, tout en lui demandant une écoute large et sans surprise pour qu'il puisse bénéficier au mieux de la diversité de parole et d'opinion et qu'il ne se fabrique pas ses propres tunnels.
La stratégie de base était "be conservative in what you send and liberal in what you receive" ou "soyez conservateur dans le contenu que vous envoyez et libéral dans dans celui que vous recevez."

Il est curieux de voir qu'une culture aussi industrieuse que la culture anglo-saxonne ait pu intégrer cette paresse de l'esprit et la transmettre jusqu'au réseau, car cette stratégie comportementale est peu à peu devenue celle qui régit la compétition intellectuelle en ligne.
Elle s'est transformée en impératif.
Si vous avez tendance à vous écarter de cette paresse, c'est un peu comme si, tout à coup, vous violiez un nombre de règles non-écrites et que vous vous mettiez vous-même hors-jeu.
Et ce n'est pas le cas. C'est uniquement le fait que vous venez de décider de votre progression et que ce à quoi vous attachez le plus d'importance nécessite, pour que vous soyez entendu, que vous vous débarrassiez de vos protections d'usage.

Un exemple célèbre est la flamewar dans laquelle Linus Torvalds est entré pour défendre son enfant intellectuel, le système Linux, et le propulser vers l'universalité de son emploi actuel.
Lorsque personne ne viendra défendre votre identité en jeu, le soin de prendre position de manière claire est la seule ligne de conduite qui rendra votre émancipation possible et vous fera atteindre le point ou votre richesse intérieure, votre unicité, pourra être partagée par tous.
Et ce n'est pas une règle du réseau mais une constante humaine.

D'un point de vue purement français, nous ne pouvons voir dans cette appréciation des règles de la netiquette qu'une culture de l'hypocrisie. La longue tradition des moralistes français, ceux-là même qui défendaient leur art de vivre et de penser, auraient détesté cette soumission à un verbe détourné qui exclut la franchise et l'audace.
Ce dont à présent nous pouvons nous rendre compte est que cette stratégie comportementale qui soumet le grand nombre à la paresse est le moyen central pour tout un pan de la culture anglo-saxonne de structurer leur histoire au profit des autres.

Autrement dit, imposer les modalités de partage de l'information et de la connaissance ne sont qu'un moyen de faire progresser ses propres idées chez l'autre et au mépris de ce qui le constitue.

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