De la détestation en politique, sur l'Internet

Connaissez-vous Charles Krauthammer ?
Non ?
Vous devriez ; il est peut-être le commentateur et chroniqueur politique le plus brillant du camp conservateur américain.
Il inventa en 2003 dans les pages du Washington Post un nouveau type d'affection mentale, qu'il nomma, avec son humour d'ancien psychiatre, le « Bush Derangement Syndrome » et qu'il définit comme « l'apparition soudaine chez des gens, autrement normaux, d'une forme de paranoïa en réponse à la politique, à la présidence - non – à l'existence même de Georges Bush. »

Et de continuer sa démonstration toute en ironie : « le virus est bien sûr épidémique dans l'Upper West Side de New York (la rive gauche de Manhattan) et dans certains endroits classieux de Los Angeles, où la vue même du président – disons, souriant tout en tenant un plateau de dinde dans un mess de Baghdad – provoqua des dizaines de crises d'apoplexie chez des adultes jusque là en parfaite santé. »

Lorsqu'après ses deux mandats accomplis le Texan partit jouir de sa retraite dans son ranch, il y eut un vide dans la détestation chronique et obsessionnelle d'une personnalité du parti républicain.

Il faut se rendre compte que l'incivilité politique réciproque, en est aujourd'hui à un tel point aux États-Unis, que nous pouvons voir débattre du thème suivant dans un célèbre magazine féminin : « Je ne peux pas croire que ma meilleure amie soit républicaine [sic] .»

On peut dire que Sarah Palin revêtit à son tour la tunique de Nessus créée par la convergence de haines politiques irrationnelles.

Curieux, cette femme n'a pourtant rien d'un adversaire dangereux du Parti démocrate pour les Présidentielles à venir ; selon les observateurs politiques elle ne possède encore cette épaisseur en politique intérieure et extérieure, qui transformerait son charisme télévisuel en candidature crédible. Elle a la capacité d'aimanter les objectifs des caméras comme personne, mais elle n'a aucune chance de se faire élire en 2012, vu que les deux-tiers des électeurs, selon les sondages, n'imaginent pas investir leur confiance en elle.
Aux dires même d'experts du Parti républicain, la présence de son étoile dans la nuit des médias capterait une part non négligeable de l'attention du public qu'il serait plus utile d'investir dans une candidature classique comme celle du mormon Mitt Romney ou du texan Rick Perry.

Et pourtant, malgré ce bilan relativement inoffensif, Sarah Palin continue d'agacer la même partie de la population qui était obsédée par Bush depuis 2003, sans faire appel à une critique argumentée, encore moins construite.

Cela va même plus loin, la simple présence physique de Sarah Palin dans le champ politique est tellement insupportable à un public avide de sa déchéance, que les sources d'information bien établies vont trop vite en besogne pour l'épingler. Témoins, deux exemples pris la semaine passée :


Ce genre de fausses nouvelles montre à quel point il y a, de la part des médias, un désir d'anticipation (sans vérification) sur n'importe quelle bribe d'information négative capable de renforcer l'illusion de lecteurs en manque.

Cela n'était  pourtant pas suffisant ; une vieille histoire courait sur elle, datant de son appui à la campagne électorale de McCain de 2008, une demande tout à fait légale, parce que prévue par la loi de l’État de l'Alaska.
Il s'agissait de fournir la quasi-totalité des courriers électroniques se rapportant à son poste de gouverneur de l'Alaska. Rien de surprenant, en pleine campagne de 2008, l'idée du camp démocrate était de plomber définitivement la candidature de McCain en démontrant qu'il avait choisi comme vice-présidente une personne fragile et peu expérimentée.
Que le fait que le candidat démocrate, Barack Obama, soit sénateur, c'est à dire possédant une expérience radicalement inférieure dans l'exercice d'un pouvoir exécutif à un gouverneur, ne dérangeait visiblement personne dans la demande de confirmation de compétences au sujet de Sarah Palin. Mais peut-être que les bons états de mère au foyer disqualifient sérieusement pour une candidature à un poste suprême, du moins, dans l'imaginaire démocrate.

Ces derniers jours, après une longue procédure juridique, les courriers furent finalement livrés. L'opération fit la une des journaux anglo-saxons en ligne. Pratiquement tous les médias d'importance furent présents pour réceptionner les 24000 courriers (13.000 seulement de Sarah Palin, car il faut inclure pour en comprendre les échanges ceux de ses correspondants.)

La machine, version tribunal de Salem, se mit de suite en marche, et parmi les plus prestigieux magistrats l'on trouvait rien moins que : le New York Times, le Washington Post, le Los Angeles Times et le Guardian qui mirent progressivement en ligne les courriers à disposition du public et demandèrent aux internautes de se plonger dans cette masse documentaire, afin que la moindre information capable de déstabiliser ou de compromettre Sarah Palin ne puisse échapper à l'enquête.
Dès vendredi soir ces grands journaux et leurs confrères, une trentaine au total, lancèrent la traque en Une sur le Web.
Un exemple, le Guardian, en réponse à de nombreuses demandes de leurs lecteurs britanniques, qui ne comprenaient pas l'attention que leur journal favori portaient à la figure mineure de Sarah Palin, disposa un bouton à droite pour qu'ils puissent accéder à une version en ligne exempte de l'affaire des e-mails de Sarah Palin, puisque cette dernière couvrait l'espace de la première page.

Au bout d'un long week-end de Pentecôte, les résultats ne se firent pas attendre et l'annonce du scoop tant attendu disparut des premières pages. Il n'y eut aucune descente de l'esprit de revanche. Les chasseurs revinrent bredouilles.
Les courriers électroniques de Sarah Palin se révélèrent bien moins croustillants que les célèbres Wikileaks de la diplomatie américaine, pire, ils la montraient sous le jour d'une jeune personne, bosseuse, fraîche et candide, avec un certain sens de l'éthique, notamment dans ses rapports tendus avec les groupes pétroliers, pas vraiment dépassée, loin d'être incompétente et sans casseroles confirmées à son poste.

Pendant ce temps, et avec toute cette énergie dépensée, une coquille de l'Associated Press, aussi mythiquement précise que notre AFP lorsqu'il s'agit de couvrir le camp dit « conservateur », se glissa dans les nouvelles : Sarah Palin n'avait pas exercé moins de deux ans au poste de Gouverneur de l'Alaska comme il était écrit un peu partout, mais bien plus c'est à dire deux ans et sept mois.
Manifestement, lorsqu'il s'agit de Sarah Palin, il semble qu'il y ait une véritable malédiction de l'information correcte.

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