Y a-t-il une réponse à La Vie ? Oui...

Quel besoin le catholicisme en France devrait avoir de posséder sa doxa politique ? En quoi le fait d'être catholique serait une étiquette qui prédisposerait ou non au vote dans tel ou tel parti de l'offre politique en vue de 2012 ?

La Vie, magazine chrétien, propose sa vision logique des choses et qui s'énonce comme suit :
Le Front National d'aujourd'hui est similaire à l' Action Française d'avant-guerre
Si le Vatican condamne l'Action Française d'avant-guerre en 1926, cela implique que le Vatican aujourd'hui aurait la même attitude avec le Front National.
Donc le catholique d'aujourd'hui est incompatible avec le vote du Front national.

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J'ai une tendance lourde, entêtante, à être libéral, à révérer la liberté sous ses deux formes, la liberté de choix et celle d'action, car c'est un peu l'héritage de l'expérience de mon père. Une autre tendance à me situer de manière républicaine du côté de l'ordre, cela doit venir de mes grand-pères qui étaient pour cela de droite et aimaient leur nation parce qu'après tout c'était cet espace que la troisième République leur avait enseigné comme propriété commune.
Et je fais aussi à nombre de mes amis l’affront d'être un progressiste enragé, souvent en rupture avec les lenteurs et pesanteurs de notre monde , car je crois dans la nature du réseau et de la culture des gens qui l'ont construit à faire évoluer ce monde vers plus de compréhension, sous le regard exigeant du rasoir d'Ockham.
Pour compliquer le tout, si je me mets du côté des femmes de ma famille, et je n'y ai aucun mal dans la lumière de leur sourire bienveillant, je suis absolument convaincu par le catholicisme et son esthétique. La seule chose que je regrette c'est peut-être le côté coincé de mes compatriotes français en situation de cérémonie, qui, de la même façon, lorsqu'ils écoutent du jazz sont incapables de révéler le fond de leur nature dionysiaque . Hélas, en France, comment pourrions-nous retrouver le côté sensuel et la ferveur enveloppante d'une messe en terre d'Espagne ?
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Revenons à la position de nos amis de La Vie. Ils opposent le message évangélique de l'Eglise à la pensée restreinte du Front National, certes, sur le plan théorique, victoire du message évangélique par KO et ceci ma foi sur n'importe quelle pensée partisane politique avant même que commence toute argumentation. Ce n'est tout simplement pas du même ordre et ce n'est tout simplement pas particulier au FN. J'y reviens en fin de message.

Ils utilisent pour cela une analogie à l'Action Française. Seulement sur le plan de la pensée, et de son application concrète, la pratique, cela ne tient pas, il y faudrait mettre un tout petit peu d'humilité.
S'il y a message évangélique, il est vivant et les actions et prises de position ne sont pas prédéterminées par un examen de cas. Ce serait trop simple. Disons que si cela l'était, cela voudrait dire que Dieu aurait disposé au commencement de chacune de nos journées un simple exercice de Sudoku spirituel. Bien sûr, je ne tiens pas à faire offense aux personnes dont le Sudoku est encore un exercice difficile au-delà du simple passe-temps, mais la vie et les choix qu'elle commande ne se réduisent pas à ce genre d'exercice logique relativement binaire.

Et c'est l'image même que le miroir de la compréhension de la réalité historique nous renvoie. La difficulté de zones grises qu'on éprouve déjà au contact de la réalité en temps normal se voit aiguisée par le fait qu'en période trouble, les allégeances passent par un tamis autrement plus serré car la décision met en jeu le poids de chair sensible que nous sommes et nous avons rarement l'occasion d'y reprendre notre mise.
Que nous disent par exemple les derniers travaux de Simon Epstein sur la France ? Que les profils politiques s'inversèrent très tôt face à l'épreuve du choix dès 1940 qui prend pour point de départ cette France en déroute. Un renversement des positions attendues sur ce spectre politique droite-gauche qui nous est aujourd'hui familier, où des pacifistes se retrouvèrent sur les rails de la Collaboration et ceux qui étaient originaires d'une extrême-droite nationaliste (par exemple l'Action Française) rejoignirent massivement les Forces Française Libres puis les premiers éléments de la Résistance.

Utilisons un passage mystique d'une autre religion pour le plaisir de la métaphore. Certains firent face à l'épreuve de la même façon que fit le premier Imâm des shiites, Mowlânâ Ali ebn Abî Tâleb, comme le rapporte Henri Corbin :
Selon cette tradition, le premier Imâm dit un jour devant ses familiers :
« Parce qu'il y avait dans mon cœur des soucis qui l'angoissaient et que je n'ai trouvé personne à qui les confier, j'ai frappé la Terre avec la paume de ma main, et je lui ai confié mes secrets, si bien que chaque fois que la terre germe une plante, cette plante est l'un de mes secrets. »
J'aime à croire, toujours pour la métaphore, que ces personnes ont pris connaissance intérieurement de leurs peurs et ils ont regardé où était leur idéal, et leur geste s'est confondu jusqu'à la victoire de cet idéal accompagné du développement de leurs espérances. Symbolisées par chacune de ces plantes, donc.

Là où je veux en venir, c'est que la grille d'analyse proposée par La Vie peut passer pour éclairante dans le cadre d'un positionnement politiquement correct en temps de paix, à l'abri d'institutions et de garanties nationales solides ; mais elle est tout simplement inopérante lorsqu'un choix individuel, critique, qui engage le futur du monde, est exigé de chacun, puisque l'histoire montre que des personnes, que la croyance collective croit à priori les moins équipées, deviennent des éléments clés et salvateurs. D'ailleurs, existe-t-il un thème plus biblique que celui-là ?

Maintenant on pourrait m'opposer comme me l'a fait @benjbenj sur Twitter qu'il y a dans ce choix éditorial de La Vie, aucune malice autre que la liberté du journaliste militant, c'est à dire d'avoir un regard politique et une analyse orientée, quitte à employer la foi catholique comme argument de la basse-cour du positionnement politique.

Mais cela est-il important ?
Sûrement, si l'on s'en tient au plancher des vaches, que l'on oublie le sacré en sacrifiant au continuum espace-temps établi par nos scientifiques, décrivant un univers à disposition de l'homme, où il n'y aurait finalement aucune possibilité de fracture capable de signaler la moindre hiérophanie. Mais dans cet espace, il n'y aurait pas non plus de place pour l'apparition d'une religion.

« Paradoxalement, c'est ce qui donne à la parole de Jésus son caractère intimement personnel. Pas une feuille de papier à cigarette entre sa vie et sa parole. Et sa parole sourd du plus profond de lui-même, de ses tripes ou du fond de son cœur. Parce qu'elle n'a rien d'artificiel, de politiquement, socialement ou religieusement correct, parce qu'elle est une parole libre, une parole sans censure, elle touche au cœur, elle interpelle, elle libère... Jamais homme n'a parlé comme cet homme (Jean 7,46) »
Un passage d'une très belle homélie de Monseigneur Deniau en 2010 sur « Le don de la Pentecôte : faire résonner le message évangélique dans la langue maternelle de chacun »

Oui, car s'il y a un message évangélique dans celui de la Pentecôte, il transcende nécessairement les orientations et combats politiques humains. Il est d'une personnalisation extrême qui provoque l'inattendu par ce qui n'a jamais été entendu.

Et si on pouvait s'adresser à La Vie, on lui dirait, qui sommes-nous pour effacer cette intimité, cet au-delà du social et de la politique, au profit d'un discours réducteur par l'amalgame qu'il pose sur les hommes et les choses ?

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